Full Article: King of Morocco Requests an Estimation of the Nation’s Total Wealth

15 Septembre, 2014

Monsieur le Président, 

Messieurs les Présidents de commission, 

Chers collègues et amis,

C’est avec grand plaisir et aussi un peu d’anxiété que j’ai le plaisir d’ouvrir cette première journée de réflexion sur la mesure de la richesse globale du Maroc. 

Grand plaisir car la perspective d’appuyer le Conseil Economique Social et Environnemental pour mesurer l’évolution de la valeur globale du Maroc depuis 1999 en collaboration avec les institutions nationales concernées est évidemment enthousiasmante. Comme vous le savez, il y a quelques années, la Banque mondiale a initié un travail sur la richesse des nations et je n’ai pas de doute que ce travail sera d’une grande utilité pour mener à bien l’exercice qui est devant nous.   

Mais un peu d’anxiété également devant le défi considérable que constitue une telle entreprise pour mesurer  non seulement le capital tangible du pays—qui en soit est déjà une tâche monumentale—mais aussi son capital immatériel—c’est-à-dire justement ce qui n’est pas mesurable !  Les pays ne sont pas—ou pas encore en tout cas—cotés en bourse, et donc l’approche du Goodwill qui consiste à mesurer l’écart entre la valeur boursière d’une entreprise et la valeur de ses actifs inscrits au bilan ne peut être répliquée s’agissant des états nations. Il va donc falloir faire preuve d’imagination et de méthode. 

Mais me direz-vous : pourquoi la Banque mondiale s’est-elle intéressée ces dernières années au capital immatériel de la richesse des nations ?  Pour essentiellement deux raisons: 

  • Premièrement, la Banque mondiale s’est intéressée à  la notion de richesse des nations en raison des limites des agrégats traditionnels de comptabilité nationale tel que le produit intérieur brut (PIB) comme mesure du développement économique d’un pays. Le PIB vise à quantifier le flux de production nouvelle de richesse au cours d’une année. Cependant, lorsque cette production nouvelle se fait sur la base de l’exploitation de ressources naturelles non-renouvelables ou au détriment de l’environnement, l’enrichissement mesuré par le PIB risque de n’être qu’un mirage. Certes, la production augmente mais simplement au prorata de la destruction des richesses naturelles existantes, destruction qui n’est pas décomptée dans le calcul du PIB. Le concept de PIB devient alors un instrument insuffisant de mesure du développement, et donc un instrument incomplet pour guider la politique économique.
  • Deuxièmement, même lorsque la croissance ne se fait pas au détriment de l’environnement ou du patrimoine naturel d’un pays, le PIB n’est qu’une mesure très partielle du bien-être et notamment du développement humain d’un pays. Par exemple, si le nombre croissant d’accidents de la route contribue à augmenter le PIB du fait des soins médicaux et des réparations automobiles qu’ils engendrent, il est évident que ces accidents ne contribuent pas à améliorer la qualité de la vie ou le bien-être des populations. A contrario, le PIB ne prend pas en compte des activités productives non marchandes liées au bénévolat, à l’entraide et à la solidarité, ou à la production domestique. De manière plus générale, le PIB ne prend pas en compte des aspects importants du développement humain et de la qualité de la vie, telle que l’espérance de vie, le niveau de savoir et d’éducation, la participation à la vie politique et à la gouvernance, ou encore le niveau d’équité dans le partage des richesses. 

Comme l’a souligné SM le Roi à l’occasion de la fête du trône, « l’objet de l’étude ne sera pas seulement de faire ressortir la valeur du capital immatériel du pays, mais également et surtout de souligner la nécessité de retenir le capital comme critère fondamental dans l’élaboration des politiques publiques, et ce, afin que tous les marocains puissent bénéficier des richesses de leur pays ».

Je dois dire que cette remarque rejoint directement les conclusions préliminaires des travaux de la Banque mondiale visant à calculer la richesse de 120 pays au tournant du millénaire. Lorsque l’on s’intéresse à l’évolution de la richesse des nations plutôt qu’à leur production, il apparait que le capital immatériel de cette richesse est déterminant pour expliquer la dynamique de développement des nations, loin devant le capital naturel ou le capital physique accumulé au cours du temps. Ce capital immatériel ou intangible recouvre principalement le capital humain, social et institutionnel d’un pays. Il comprend par exemple l’accès à des biens et services publics de qualité, et notamment l’accès à des services éducatifs capables de valoriser pleinement le capital humain d’un pays. Plus généralement, le capital immatériel traduit le niveau de développement institutionnel et social au sens large : la bonne gouvernance, le respect de la règle de droit, la transparence et la reddition des comptes, les libertés fondamentales ou la solidarité et la confiance entre citoyens, pour ne citer que quelques dimensions.  

La Banque mondiale se tient prête à partager son expérience et ses connaissances en la matière. Aujourd’hui nous auront une première opportunité de vous présenter nos travaux, de vous écouter et de répondre dans la mesure du possible à vos questionnements. Nous avons pour cela réuni nos experts à Washington ainsi que nos collègues de Rabat en charge de nos programmes en matière de développement du secteur privé, de développement humain, de développement soutenable, ou encore de gouvernance. 

Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nos équipes au Maroc travaillent déjà à l’immatérialité sans le savoir. En effet, en ligne avec les objectifs partagés de réduction de la pauvreté et de prospérité partagée, le gouvernement du Maroc et le Groupe de la Banque mondiale viennent de renouveler leur Cadre de partenariat stratégique (CPS) pour la période 2014-2017. Dans ce nouveau cadre, la Banque s’est engagée à accompagner le Maroc sur la voie des réformes institutionnelles et à amplifier son soutien financier, technique et analytique autant que nécessaire autour de trois domaines clés : promouvoir une croissance concurrentielle et inclusive, notamment pour la jeunesse et les femmes ; construire un avenir vert et résilient ; et renforcer la gouvernance et les institutions pour une meilleure prestation de services à tous les citoyens, à travers notamment le renforcement du  droit d’expression et de la participation citoyenne. Voilà comment, en quelques mots,  le Maroc pourrait certainement atteindre à la fois une plus grande richesse globale et une meilleure répartition de cette richesse.

Je vous souhaite les échanges les plus productifs possibles et vous remercie de votre attention.